Solaire : l’Inde, un pays COP-modèle

Sur un toit d’usine à New Delhi.

A Paris en 2015, New Delhi s’est fixé des objectifs ambitieux. Et fait tout pour les tenir

La route cabossée serpente dans la plaine désertique et, de chaque côté, un troupeau de chèvres avance dans la chaleur de ce début d’après-midi, à la recherche de quelques rares végétaux. La terre rouge et aride du sud de l’Andhra Pradesh, à 140 km au nord de Bangalore, dans l’Inde méridionale, ne connaît que «quelques jours de pluie par an», disent ses habitants. Insuffisant pour l’agriculture, mais idéal pour une autre récolte : l’énergie du soleil. En bordure du hameau de Hindupur jaillit une mer bleu foncé qui s’étend à perte de vue : 345 000 panneaux solaires ont été installés en avril 2016 par l’entreprise indienne ACME, l’un des deux plus importants producteurs d’énergie photovoltaïque du pays.

Cette centrale d’une capacité de 50 mégawatts (Mw) diffuse son énergie sur 30 km aux alentours pour éclairer 100 000 foyers ruraux. «Cela nous a pris à peine trois mois pour monter tous ces panneaux, lance Dinesh Reddy, le responsable de 28 ans de cette ferme. Le plus long est d’importer l’équipement en amont, car il doit venir de Chine.» Seuls 15 employés veillent à temps plein au bon fonctionnement de cette centrale silencieuse qui produit du courant de 6 heures à 18 heures. L’essentiel du travail consiste à repérer les baisses de tension grâce à un écran, à changer les câbles défectueux. Et, trois fois par mois, à laver tous ces panneaux à fine couche pour retirer la poussière qui réduit leur rendement. Enfin, une cinquantaine de fermiers des environs sont engagés pour couper l’herbe qui pousse du sol arrosé et éviter qu’elle crée de l’ombre.

Lors de la COP 21, le sommet de Paris sur le climat de décembre 2015, l’Inde avait fait une promesse incroyable pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre : multiplier par 25 en sept ans ses capacités de production d’énergie solaire, pour atteindre les 100 Gw installés. Le pays est maintenant lancé dans une course effrénée pour atteindre ce but. En septembre, après seulement huit mois de travaux, la multinationale indienne Adani a ouvert dans le Tamil Nadu (sud) la plus grande ferme solaire du monde : 648 Mw. L’Inde a ainsi doublé ses capacités en un an, pour atteindre 10 Gw début 2017. Elle devrait encore les multiplier par deux d’ici à la fin de l’année. Le pays-continent se situe à présent à la 7e place mondiale en terme de capacités de génération de photovoltaïque, devant la France. Elle constitue l’un des marchés à plus forte croissance du monde. Il faut dire que ses besoins sont criants : plus de 300 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité. Près de deux tiers de son courant provient toujours du charbon, en majorité importé. L’Inde est déjà le troisième émetteur de gaz à effets de serre au monde. Si elle veut tenir son autre engagement de la COP 21 (40% de renouvelables dans son mix énergétique en 2030), elle doit opérer un changement drastique. Les autorités ont ainsi accordé d’importantes réductions fiscales aux installateurs de panneaux solaires et lancé un système d’enchères inversées, par lequel les centrales sont attribuées aux compagnies qui s’engagent à produire l’énergie la moins chère. Le secteur, enfin, bénéficie de l’incroyable chute, de 25 % en un an, du prix des panneaux, qui pèsent environ 60 % du coût d’une centrale. Résultat : lors de la dernière enchère du 10 février, ACME a remporté l’un des contrats en garantissant de générer cette énergie solaire pour un tarif record de 2,97 roupies/Kwh (4 centimes d’euro), soit une chute de 24 % en un an. Ce photovoltaïque devient la source d’énergie la plus abordable dans certains Etats indiens.

Système de «leasing»

«Dans les pays occidentaux, la croissance des énergies renouvelables a été alimentée par les subventions publiques. Mais quand elles se sont arrêtées, l’expansion s’est interrompue, explique Vinay Rustagi, directeur de la société de conseil en énergies renouvelables Bridge to India. En Inde, le solaire est attrayant, ce qui lui offrira une croissance plus durable.» Les prix pourraient encore baisser car la compagnie Adani est sur le point d’ouvrir la première usine de production de panneaux solaires en Inde, capable de fabriquer des équipements de 1,2 Gw par an.

Mais afin d’atteindre son objectif de 100 Gw d’énergie photovoltaïque en 2022, l’Inde doit installer 18 Gw par an. Trois fois le rythme actuel. Pour accélérer la cadence, le gouvernement vient de doubler la part attribuée aux parcs solaires, qui peuvent produire plus de 500 Mw sur une seule zone. Ces structures offrent d’importants avantages aux opérateurs, car les terres sont souvent comprises dans l’appel d’offres des autorités locales. Le défi sera maintenant de trouver assez de grands terrains publics disponibles, ou de réussir à les acquérir dans un pays où les champs sont divisés en très petites exploitations. Le ministère indien de l’Energie se veut optimiste : le pays n’aurait pas besoin de nouvelles centrales à charbon d’ici à 2027 au plus tôt. La preuve : 31 unités de production, d’une capacité de 12,7 Gw, sont suspendues. Et 74 % des nouveaux projets ont été reportés ou annulés depuis 2010.

Il n’y a du reste pas que les terres désertiques qui accueillent des panneaux solaires : les résidences urbaines commencent à en poser sur leurs toits, pour remplacer les coûteux générateurs au diesel utilisés lors des régulières coupures d’électricité. Dans la ville nouvelle de Gurgaon, en banlieue de New Delhi, les huit tours de 40 mètres de haut de la résidence Bestech Park View sont ainsi en partie recouvertes de capteurs photovoltaïques, montés sur de solides barres de fer. Un projet novateur en Inde, poussé par Rajiv Verma, directeur dans une multinationale indienne. «Quelques mois après mon arrivée à Gurgaon en 2013, j’ai commencé à avoir de sérieux problèmes respiratoires, relate ce trentenaire. Les docteurs m’ont dit que c’était à cause de la pollution. Les générateurs au diesel que nous utilisons en été lors des coupures de courant émettent beaucoup de fumée.» Il a ainsi convaincu les propriétaires des 700 appartements du complexe de classe moyenne de lutter contre l’administration corrompue pour avoir les autorisations nécessaires et a fait installer ces panneaux d’une capacité de 273 Kw. «Cela génère de l’électricité pendant cinq à six heures par jour et nous fournit entre 8 % et 10 % de nos besoins énergétiques», détaille Rajiv Verma. La résidence a choisi un système de leasing : elle n’a pas besoin d’acheter le matériel. Le fournisseur l’installe et l’entretient pendant vingt-cinq ans et facture en échange l’électricité générée à un tarif à peine plus élevé que le coût de revient. Et cela reste rentable : cette énergie solaire est 3 % ou 4 % plus chère que le courant fourni par le réseau public, mais réduit la consommation du coûteux générateur au diesel. «Nous économisons environ 1 500 euros par mois, conclut Rajiv Verma. Il y a maintenant moins de fumée dans l’air. Je suis ravi d’avoir fait quelque chose pour l’environnement.» Ce changement, qui a inspiré d’autres résidences voisines et gourmandes en électricité, pourrait en effet assainir les cieux de la région de Delhi, considérée comme la 11métropole la plus polluée au monde.

Ce système sur toiture est encore plus intéressant pour les industries, qui paient l’électricité à un tarif plus élevé et pour qui le solaire est donc meilleur marché que l’énergie du réseau. Ces entreprises ont en général beaucoup de place sur leurs toits. La plupart des Etats fédérés autorisent les producteurs de photovoltaïque à renvoyer dans le circuit l’excédent d’énergie qu’ils produisent - le week-end pour les entreprises par exemple -, ce qui constitue un crédit qu’ils peuvent consommer plus tard.

Excédent d’énergie

La vraie révolution solaire surviendra toutefois quand toutes ces mini-centrales pourront installer des batteries et emmagasiner ce courant. Aujourd’hui, celles-ci sont trop chères et volumineuses, mais cela pourrait changer «d’ici cinq à dix ans, grâce aux importants investissements réalisés dans le domaine, particulièrement par l’industrie automobile, assure Chandra Bhushan, du Centre pour la science et l’environnement, de New Delhi. Cela représentera la fin des centrales à charbon et à gaz.»

Cette croissance verte requiert cependant un renforcement urgent du réseau, car l’énergie renouvelable est par nature instable - une soudaine couverture nuageuse peut faire tomber la production - et l’Inde doit donc investir pour moderniser ses anciennes lignes de transmissions. Faute de quoi, la troisième économie asiatique pourrait revivre la panne d’électricité de juillet 2012, la plus grande de l’histoire mondiale, qui avait plongé plus de 300 millions d’Indiens dans le noir pendant deux jours.

Source : http://www.liberation.fr/planete/2017/03/30/solaire-l-inde-un-pays-cop-modele_1559548#link_time=1490956838