Le solaire souple promis à un brillant avenir

Une nouvelle technique de panneaux solaires ultrafins se développe en France. Flexibles, transparents, faciles à poser, ces nouveaux matériaux producteurs d’électricité, aux rendements moins élevés, répondent à d’innombrables besoins ponctuels.

Conçu à partir de composés organiques, le film photovoltaïque Asca est produit par la société française Armor. Semi-transparent du fait d’une extrême finesse, il est flexible et ultra-léger (500 g par m2).

La course en tête ! Deux entreprises françaises viennent d'inaugurer les premières lignes de production industrielle au monde de solaire souple. De ces unités vont sortir des " peaux " électriques à appliquer sur les bâtiments, les voitures, le mobilier urbain, les téléphones portables, les montres… Épais de quelques nanomètres à peine (un nanomètre égal un millionième de mètre, flexibles, transparents, faciles à poser, ces nouvelles sources photovoltaïques ont pour objectif d'apporter l'énergie au plus près du consommateur.

 

Sur la zone industrielle de Rousset (Bouches-du-Rhône), Ludovic Deblois, cofondateur et président de Sunpartner Technologies, ne cache pas sa fierté d'atteindre son objectif après près de dix années de recherche : rendre invisible la production solaire afin d'étendre les surfaces qui y sont consacrées.

 

" Grâce aux lignes de production que nous venons d'inaugurer, nous proposons désormais une technologie qui permet de produire de l'électricité en appliquant des panneaux sur des façades. C'est primordial pour rendre les bâtiments autonomes comme la législation française impose qu'ils le deviennent au cours de la prochaine décennie. Car installer des panneaux photovoltaïques “classiques” - c'est-à-dire au silicium - sur le toit d'immeubles de plus de trois étages ne sera pas suffisant ", se félicite-t-il. Ainsi est née la technologie Wysips (What you see is photovoltaïc surface ; " ce que vous voyez est une surface photovoltaïque ") qui condense plus de 150 brevets pour rendre transparent un CIGS (cuivre-indium-gallium-sélénium) à l'origine noir et opaque, grâce à des couches de quelques milliardièmes de mètre. " Nous avons développé un laser qui diminue au minimum la couche nanométrique de CIGS pour laisser passer la lumière, explique Franck Edme, ingénieur en charge de la ligne de production. Nous perdons, de ce fait, du rendement, mais nous multiplions les usages. " Ce rendement est en effet de 70 à 130 watts du mètre carré, contre 1 000 watts en moyenne pour les panneaux solaires classiques…

 

Une faiblesse compensée par la multiplication des surfaces sur lesquelles le matériau peut être appliqué, d'autant que, dans le bâtiment, les architectes peuvent jouer avec l'esthétique de ces panneaux. " À la demande, nous pouvons dessiner des motifs, les colorer et faire de ces éléments des décorations de façade ", précise Ludovic Deblois. Une centaine de projets architecturaux seraient dans les cartons, en France principalement. La nouvelle chaîne de production est aussi la première au monde capable de sortir en continu des panneaux transparents pouvant servir de vitres ayant la capacité de produire de 18 à 50 watts-crêtes par m2 (Wc/m2). Une puissance suffisante pour alimenter un store par exemple, ou un automatisme d'ouverture ou une alarme. " Nous proposons ainsi une fenêtre dont les fonctions n'ont pas besoin d'être câblées au réseau de la maison ", détaille Ludovic Deblois. Ce système peut être appliqué aux véhicules de transport, où les commandes d'ouverture de vitres seront ainsi autonomes, et à l'aviation. Airbus teste des hublots qui s'opacifient à la demande sans être reliés à l'alimentation générale de l'avion. Sunpartner s'intéresse aussi au marché des objets connectés. L'entreprise a déposé des brevets pour que de petites pastilles de CIGS appliquées sur des polymères puissent s'apposer sur des montres en cours de commercialisation avec l'industriel chinois Truly. " Les montres classiques - qui ne multiplient pas les fonctions - peuvent ainsi devenir autonomes ", affirme l'entrepreneur. Par ailleurs, les recherches se multiplient avec les fabricants de tablettes et de smartphones pour, là encore, intégrer une couche de CIGS sans altérer la sensibilité des écrans tactiles.

 

Une production industrielle unique au monde

 

Sunpartner a signé un accord de partenariat de cinq ans avec la société Armor pour le développement de ces procédés. Logique : Armor est également entré dans la production industrielle, mais avec une technologie différente. Cette société nantaise de 1850 salariés, créée en 1922, est le leader mondial de la formulation des encres et des rubans d'impression transfert thermique servant entre autres à l'édition des codes-barres grâce à la technique dite en roll to roll, seule apte à pouvoir fournir des films minces. " En 2010, nous avons débuté notre programme de recherche de fabrication du film photovoltaïque, baptisé Asca, en appliquant des molécules organiques sous forme d'enduction de couches fines sur films minces, précise Moïra Asses, responsable marketing de ce projet. Et fin 2016, nous avons démarré la première chaîne de production industrielle au monde capable de sortir 1 million de mètres carrés par an avec un rendement de 40 watts-crêtes. " Dans l'usine située à proximité de Nantes (Loire-Atlantique), une quarantaine d'ingénieurs améliorent le procédé d'impression et recherchent surtout les assemblages de chaînes carbonées les plus productives avec un objectif de 80 watts-crêtes dès 2019. Le tout dans le plus grand secret, Armor affirmant ne pas même déposer de brevets afin de ne pas dévoiler ses procédés.

 

La prudence se justifie. Car si le solaire organique n'est pas encore sorti des laboratoires aux États-Unis et en Chine, il en est déjà également à l'étape industrielle en Allemagne avec la société Heliatek. Le 15 novembre dernier, cette filiale du groupe français Engie a marqué les esprits en inaugurant une centrale de 530 m2 installée sur les toits du collège Pierre-Mendès-France à La Rochelle (Charente-Maritime). Les ouvriers ont mis moins de deux jours à déployer des films solaires légers en rouleaux qui ne pèsent pas sur la structure des bâtiments, Heliatek visant le marché a priori important des bâtiments ne pouvant supporter le poids de panneaux en silicium. L'ensemble produit 24 MWh par an, consommés par le collège. Armor a des idées similaires. " Ces films solaires s'enroulent comme des tapis, note Moïra Asses. Pourquoi ne pas envisager de les déployer le dimanche sur les parkings de supermarché qui ne servent à rien ?"

 

Des débouchés dans l’humanitaire

 

L'entreprise imagine aussi l'intégration des films dans des sacs à dos, des ombrières, des sacs à main afin de recharger en permanence les téléphones portables. De même, le mobilier urbain pourrait communiquer grâce à des capteurs capables de se " parler " grâce à la LI-FI (Light Fidelity), moyen de communication sans fil fondé sur la transmission de données grâce aux ondes lumineuses. " Nous pensons que nous pourrons bientôt faire communiquer les voitures entre elles pour fluidifier le trafic et le rendre plus sûr ", ambitionne Moïra Asses. Autre débouché, humanitaire celui-là : Armor diffuse en Afrique des " kits scolaires " associant une lampe basse consommation à un chargeur solaire résistant et léger pour permettre aux élèves d'avoir de la lumière pour faire leurs devoirs le soir.

 

C'est cette vision d'une énergie de proximité qu'a également Ludovic Deblois. Les deux entreprises ne s'estiment pas en rivalité et n'imaginent pas non plus concurrencer les panneaux photovoltaïques en silicium. " Chacun a sa place et nous sommes complémentaires ", estime Moïra Asses. Et celle des couches minces est sans doute plus pertinente dans les transports et dans la vie quotidienne. C'est pourquoi les deux sociétés françaises ont signé ce partenariat pour pousser les milliers d'idées que le solaire organique leur inspire.

 

 BRUNO BOURGEOIS

 

FABRICATION
Les trois techniques de " couches minces "


LES FILMS PHOTOVOLTAÏQUES ORGANIQUES. Des couches de polymères de quelques nanomètres sont capables de capter les photons sans qu'il y ait besoin d'un rayonnement solaire direct. Les chaînes carbonées qui composent la couche photo-active sont entourées d'électrodes encapsulées dans une enveloppe de plastique. Le rendement est de 4 % mais les recherches sur des compositions en carbone plus efficaces laissent espérer un rendement de 8 % dès 2019. Avantage : ces films sont souples.

LE CIGS. Les alliages cuivre-indium-gallium-sélénium sont semi-conducteurs. Ils sont capables de capter les photons de la lumière, même à basse intensité, et n'ont pas besoin d'être exposés au rayonnement solaire direct. En installation, leur rendement varie de 7 à 13 % (contre 20 % pour le silicium). La couche de ces minéraux est épaisse de quelques nanomètres, mais le support en verre reste rigide.

LE TELLURURE DE CADMIUM : Le CdTe est un semi-conducteur qui atteint un rendement de 13 % en fonctionnement normal. La technologie sur support rigide est exploitée par un seul fabricant américain, First solar, qui a frisé plusieurs fois la faillite mais vient d'annoncer la construction d'une nouvelle usine dans l'Ohio. En France, les 1,4 million de panneaux solaires de la centrale de Toul-Rosières (Meuthe-et-Moselle), la plus grande d'Europe avec ses 367 hectares, sont en CdTe.

source : https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/developpement-durable/le-solaire-souple-promis-a-un-brillant-avenir_125434?xtor=RSS-15