Pour sauver les coraux, ils plantent des potagers sous-marins

 

À Moorea, de jeunes surfeurs ont fait de la restauration des coraux leur cheval de bataille.

En cinq ans, ils ont planté plus de 25 000 coraux en Polynésie française. Un modèle qu’ils veulent étendre à l’international pour sauver les récifs menacés.

L’eau limpide des lagons de Moorea, île voisine de Tahiti, laisse transparaître un triste constat. Depuis la surface, la mine blanchâtre des coraux annonce leur progressive disparition. « Il y a dix ans, c’était tout fleuri », dit Titouan Bernicot, l’air affligé en observant la baie de Cook. Il y a six ans, ce surfeur alors âgé de 16 ans a été frappé par le blanchissement des coraux. « Je surfais sur la côte nord de Moorea, d’habitude les coraux étaient tout colorés, et là ils étaient blancs… » En voyant ces cimetières de squelettes blanchis, le déclic s’est opéré et Titouan a décidé de se lancer dans le bouturage de coraux.

Devant sa maison, il a créé son propre « fa’apu », potager en tahitien. « J’ai arrêté mes études et je me suis lancé là-dedans à plein temps en voyant que peu de choses étaient entreprises sur ce sujet. » C’est dans sa chambre d’adolescent, avec son petit frère Ioane, qu’a muri le projet Coral Gardeners. « Mon rêve, c’était de créer un nouveau métier. Le métier de jardinier du corail. On plante des arbres sur terre depuis des millénaires, pourquoi ne pas planter des coraux sous l’eau ? »

Les « jardiniers » de l’association surveillent la croissance des fragments de coraux dans la pépinière.

©Ryan Borne / Coral Gardeners

Son histoire n’est pas celle d’un adolescent polynésien isolé. Depuis la grande terrasse en teck du centre de Coral Gardeners, Taiano Teiho, la peau brunie et les cheveux blondis par le soleil, se souvient des coraux de son enfance : « J’ai pu voir plein de coraux disparaître en grandissant ici. » Sa jeunesse, il l’a passée dans l’eau à pêcher ou surfer sur les récifs : « J’habitais quasiment dans l’eau. »

Après ses études, le quotidien de Taiano a basculé. En 2017, le fondateur de Coral Gardeners, Titouan Bernicot, avec qui il surfe les meilleures vagues de Moorea, lui a proposé de venir l’aider à planter des coraux. « Je ne connaissais rien aux sites coralliens, sauf que c’était la maison des poissons. » En parlant avec Titouan, le jeune polynésien a réalisé que tout son écosystème repose sur ces fragiles arbustes marins. « Je me suis rendu compte que les récifs coralliens nous donnent tout : sans coraux, pas d’anémones, pas de poissons… C’est un effet domino. »

Sauver le poumon de l’océan

Les récifs coralliens souffrent de l’augmentation de la température de l’eau et de l’acidification des océans. Selon une étude publiée en février dans la revue PLOS Climate, avec une hausse de la température moyenne de 1,5 °C, objectif fixé par l’Accord de Paris, plus de 99 % des coraux seraient incapables de se remettre des vagues de chaleur marines de plus en plus fréquentes. Pourtant les coraux sont indispensables, ils hébergent un quart de la vie marine alors qu’ils couvrent moins de 1 % des fonds marins. Et 50 % de l’oxygène que l’on respire provient d’organismes océaniques dépendants des coraux, selon le WWF.

Pour les sauver, Titouan et son équipe, composée aujourd’hui d’une trentaine de personnes, fragmentent des coraux résilients pour ensuite les replanter. Les fragments, comme des boutures de fleurs, sont accrochés à des cordes installées au fond des lagons. Une quinzaine de rangées se succèdent, les fragments doublent de volume, formant un potager à 5 mètres de profondeur. Après 12 à 18 mois passés dans la nurserie, ils sont prêts à être replantés. Trois fois par semaine, les jardiniers enfilent combinaisons et bouteilles d’air comprimé pour les surveiller. « Le fait d’avoir nos propres coraux procure un sentiment de paternité, il faut que j’aille les voir, je m’inquiète pour eux », dit Taiano.

Ces dernières années, l’association a créé d’autres potagers sous-marins. Il en existe à Teahupoo, célèbre spot de surf de Tahiti, et dans les Tuamotu, à Tikehau et Ahe. Dans ces atolls, ce ne sont pas les jardiniers qui entretiennent les nurseries, mais des pêcheurs et des écoliers. « C’est très important d’impliquer les locaux, ce sont eux qui connaissent le mieux les récifs et qui en ont besoin pour vivre. » L’économie locale repose principalement sur la pêche, qui elle-même dépend de la prolifération des poissons autour des coraux. Titouan Bernicot a passé les trois premières années de sa vie sur l’atoll d’Ahe, où ses parents possédaient des fermes perlières. Ces fermes aquatiques, répandues en Polynésie, élèvent des nacres pour les greffer puis récolter des perles de culture.

Un fragment de corail est attaché à une corde afin qu’il se développe dans la nurserie durant au moins un an.

©Ryan Borne / Coral Gardeners

Une fois les « supercoraux » prêts, ils sont replantés dans des endroits endommagés. Durant tout le processus, un système de surveillance permet de récolter un maximum de données. « On avait pour ambition d’avoir des nurseries connectées et on l’a fait. C’est un moyen de surveillance qui existait déjà dans les ruches par exemple, alors on l’a calqué sur nos nurseries. » Ils mesurent ainsi le taux de croissance et de réhabilitation des coraux. Emmagasiner toutes ces informations leur permet de replanter intelligemment pour que les boutures se développent au mieux. « Sur les 16 000 fragments de coraux replantés sur l’île, entre 65 et 75 % ont survécu », affirme le fondateur de Coral Gardeners.

 

Pour apporter une réponse globale au problème, l’association mise beaucoup sur la sensibilisation. Elle identifie les « stresseurs locaux », comme les plantations d’ananas. « C’est en partie eux qui sont responsables de la mort des coraux, ils déversent de l’eau polluée », lance Taiano. L’association a alerté à plusieurs reprises sur la pollution aux pesticides du lagon.

 

1 million de coraux plantés d’ici 2025

 

L’association n’est pas la première à s’attaquer à cette tâche herculéenne qu’est la sauvegarde de la forêt tropicale aquatique. Mais sa force est sans conteste sa maîtrise aiguisée de la communication. Coral Gardeners est suivi par un demi-million de personnes sur Instagram. Sur leur page, on peut croiser Hannah Stocking, mannequin grecque suivie par plus de 22 millions de personnes sur Instagram en train de fragmenter des coraux dans la nurserie.

 

Une utilisation des influenceurs à outrance qui peut se révéler contre-productive en attirant un tourisme de masse sur ces sites fragiles. Titouan Bernicot, aujourd’hui âgé de 24 ans, a rapidement compris que, pour que son projet fonctionne, ce coup de projecteur lui serait indispensable. « On a essayé de revoir l’approche de la conservation marine en postant beaucoup de photos de notre travail pour le faire connaître et toucher un maximum de personnes. »

Coral Gardeners est désormais une structure reconnue dans le monde de la conservation marine, par des partenariats avec le National Geographic ou la World Surf League. L’association se finance également grâce à des donations philanthropiques et à l’adoption de coraux qu’elle monnaie.

 

En cinq ans, Coral Gardeners a planté plus de 25 000 coraux. Taiano espère que d’ici trois ans, grâce aux efforts, les coraux qu’il a connus enfant écloront à nouveau dans le lagon où il a grandi. Titouan Bernicot voit plus grand et souhaite ouvrir trente branches de l’association à l’international. « La Polynésie sera toujours la tête de la pieuvre, mais ses tentacules seront aux Fidji, au Panama ou encore en Thaïlande. » Pour redonner vie au poumon de l’océan, l’association ambitionne de planter 1 million de coraux d’ici 2025. La recolonisation de l’océan risque de prendre du temps, mais pourrait s’accélérer grâce aux jardiniers du corail.

source : https://reporterre.net/Pour-sauver-les-coraux-ils-plantent-des-potagers-sous-marins