Saint-Julien-en-Quint : un village de la Drôme produit sa propre électricité

 

Pour lutter contre l’inflation, des citoyens se réapproprient la production d’électricité.

Dans la Drôme, un village entier est passé à l’action.

 

« Vous voyez, les panneaux produisent 7 187 Watts », indique René en pointant du doigt les onduleurs installés dans son grenier. Cet agriculteur retraité a été contacté il y a quelques années par l’association Acoprev, pour installer des panneaux photovoltaïques sur son domaine. « Ils cherchaient des toitures, j’étais partant », se remémore-t-il.

Attablé dans une salle communale, l’ancien maire de Saint-Julien-en-Quint (Drôme) explique qu’Acoprev est née à la suite d’une visite effectuée en 2016 dans une usine de production de stations à hydrogène. [1] « Pour avoir une station, il nous fallait avoir de l’électricité verte », note Alain Vincent, conscient que ce vecteur énergétique est souvent produit à partir d’énergies fossiles. Si la station à hydrogène n’a pas encore été achetée, les économies de citoyens volontaires ont été mises en commun pour investir dans des panneaux solaires.

Onduleurs installés dans le grenier d’Alain, agriculteur et principal producteur d’Acoprev, le 11 janvier 2023. © Pierre-Thomas Demars / Reporterre

« Reprendre en main son destin énergétique »

 

Très rapidement, les personnes ayant pris part au projet ont privilégié l’installation de panneaux en autoconsommation collective. Alors que les panneaux solaires vendent traditionnellement l’électricité dégagée sur le réseau national — un mode de valorisation économique notamment utilisé par les centrales villageoises —, la production est ici répartie entre les membres de l’association. Lorsque le soleil n’est pas au rendez-vous, les habitants de la ville utilisent alors le réseau national d’électricité et disposent donc d’un second fournisseur.

 

Pour qu’un citoyen puisse avoir accès à l’électricité produite localement, il peut devenir sociétaire d’Acoprev qui lui vend alors de l’électricité à un prix défini par l’association. « Qui va aller à l’assemblée générale d’EDF pour décider des prix de l’électricité ? » s’interroge Alain Vincent, satisfait de n’avoir fait passer « aucune hausse du prix depuis que l’on vend de l’électricité ». Enjoué, l’ancien maire estime que, grâce à l’association, « on sort une partie de notre consommation des aléas du marché et de sa spéculation ».

 

Les opérations d’autoconsommation collective sont encadrées depuis 2015 dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte. Cela permet aux habitants de réaliser d’importantes économies sur leur facture d’électricité. Une économie d’autant plus importante que les prix de l’énergie grimpent en flèche.

 

« Le fait de reprendre en main son destin énergétique motive les initiateurs des opérations d’autoconsommation collective », explique Gilles Debizet, maître de conférences à l’université de Grenoble en aménagement et urbanisme.

 

Non loin de la place du village se trouve une installation de production de champignons bio. Son propriétaire, Damien Hensens, note qu’un cinquième de sa consommation d’électricité lui est fourni par Acoprev et il aimerait « que ce soit plus ». Jusqu’alors peu familier des énergies renouvelables, Damien indique que l’association « [l]’a aidé à plus [s]’y intéresser » : « L’électricité est la seule énergie que je peux me réapproprier. » L’intéressé pensait depuis quelques années à installer des panneaux solaires sur ses toitures, mais le prix d’installation a été rédhibitoire pour lui. « Avec l’association, on n’a presque rien mis comme pognon et on a accès à de gros investissements », constate l’agriculteur.

Un cadre légal complexe et controversé

 

Néanmoins, être en situation d’autoconsommation partielle ne permet pas une indépendance totale. En effet, pour faire transiter l’électricité produite sur place entre les membres d’Acoprev, le réseau public de distribution est mobilisé. De ce fait, les citoyens doivent s’acquitter de certaines taxes et prélèvements, à l’instar du tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (Turpe), qui représente jusqu’à deux tiers du prix de l’électricité. Le paiement de ces taxes a rapidement indigné les défenseurs de l’autoconsommation collective qui estiment que ces flux ne transitent que sur de très courtes distances. Ces derniers ont alors défendu l’idée de la mise en place d’une tarification différenciée pour les opérations d’autoconsommation collective afin de garantir la rentabilité de ces projets. Ils considèrent en effet que l’autoconsommation rend un service au réseau national en le soulageant d’une partie de la demande.

 

Toutefois, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a estimé que les opérations d’autoconsommation n’induisent pas nécessairement une baisse des pointes de consommation, notamment en début de soirée, qui sont un des coûts principaux des gestionnaires de réseau. De même, dans une tribune publiée par Le Monde, le président de la CRE agitait en 2018 la menace d’un « communautarisme énergétique ». Certains acteurs craignent en effet que cette tarification différenciée ne remette en cause les principes de péréquation et de timbre-poste qui régissent la tarification du réseau électrique français. Ces deux fondements du réseau public garantissent que le prix de l’accès au réseau soit le même sur tout le territoire national, qu’importe la distance entre le site de production et de consommation.

Face à ces controverses, et afin de garantir un cadre favorable au développement de l’autoconsommation collective, un « Turpe spécifique » a été mis en place. Ce dernier minore les taxes pour les flux locaux autoproduits, mais les majore sur ceux échangés avec le réseau de transport national. Dans une étude, le gestionnaire de réseau de distribution Enedis explique que peu d’opérations ont décidé de mettre en place ce nouveau tarif, alors que 77 % y auraient intérêt. Le Turpe spécifique est une « usine à gaz » qui nécessite « beaucoup de calculs pour un gain moindre », pointe toutefois Hubert Remillieux, dirigeant de l’entreprise de conseil Enote, qui accompagne Acoprev.

 

Ces opérations ne transfèrent-elles pas la prise de risque liée à l’investissement de l’État vers les consommateurs ? C’est en tout cas ce que pense Gilles Debizet : « Les autoconsommateurs contribuent à la rentabilité du projet. Leur sortie du collectif induit un risque pour le producteur qui devra injecter sa production sur le réseau à un prix moins avantageux. » Un constat partagé par Alain Vincent : « Le risque était là, car certains citoyens ont ramené de gros billets. »

 

Si la filière est encore jeune et peu développée, la baisse des tarifs d’obligation d’achat de l’électricité solaire et la hausse des prix de l’électricité lui augure un bel avenir. « Avec les prix de l’électricité élevés que l’on va sans doute avoir dans les prochaines années, une révision du Turpe n’est pas nécessaire pour assurer la rentabilité d’une opération », note Gilles Debizet. Le chercheur explique également qu’il « existe une centaine d’opérations en fonctionnement, leur nombre a presque doublé en un an. La trajectoire est exponentielle, la croissance ralentira mais on ne sait pas quand ». « Avec la crise, beaucoup de petites entreprises et d’artisans vont vouloir investir dans de telles organisations », se réjouit Alain Vincent.

source : https://reporterre.net/Un-village-produit-sa-propre-electricite