Comment rendre son potager résistant à la sécheresse

 

Récupérer l’eau de pluie, semer différemment dans l’année, utiliser du compost humide... Des jardiniers partagent leurs astuces pour gérer les cultures lorsque l’eau manque.

 

Hauts-de-Seine, reportage

Comment faire pousser des légumes quand il ne pleut pas ? Alors que les épisodes de sécheresse se multiplient, la question hante jardiniers amateurs et maraîchers.

C’est le cas de Pierre Hémon, passionné par la biologie du sol et récemment reconverti dans le maraîchage. En cette fin juin, l’homme aux cheveux blancs et à la haute silhouette nous accueille dans un jardin partagé dans les Hauts-de-Seine. Il est en pleine recherche d’un terrain pour s’installer. En attendant de le trouver, il a déniché ce coin de verdure où il peut expérimenter diverses façons de cultiver quand l’eau se fait trop rare. Il a conscience du défi qui l’attend. « Je m’installe au moment où on va manquer d’eau, où celle-ci va faire l’objet de batailles. Donc j’expérimente. » Ce paradis vert semi-sauvage de quelque 500 m² — où chimie et pesticides sont proscrits — est le lieu idéal puisqu’il a « l’avantage » de ne pas être relié à l’eau du réseau.

Sur ce terrain, Pierre Hémon expérimente diverses façons de cultiver quand l’eau se fait rare. © Mathieu Génon / Reporterre

Pommes de terre, framboisiers, ortie...

 

Les jardiniers du quartier qui en prennent soin se débrouillent avec le mètre cube d’eau récupéré du toit de la cabane à outils. Une à deux fois par an, ils s’autorisent à dérouler un tuyau depuis une maison voisine pour remplir une citerne. Le reste du temps, ils font avec l’eau du bord. Et ça marche assez bien. « On rationne l’eau et on travaille sur le couvert végétal », nous racontait quelques jours plus tôt Isabelle.

 

Celle qui défend ce coin de verdure francilien depuis cinq ans a adapté sa méthode de culture au fil du temps. « On se polarise sur certaines cultures, notamment celles de printemps qui peuvent profiter d’un sol encore humide des pluies de l’hiver. Je sème, par exemple, des pois gourmands, des fèves ou des radis. » Ou les cultures d’automne, comme le chou qui se récoltera au printemps suivant. La veille de notre visite au jardin, il avait plu 11 mm. De quoi ravigoter les rangées de pommes de terre, les plants de courges et de tomates, les framboisiers, mais aussi l’ortie ou la consoude… parmi tant d’autres végétaux qui peuplent ce lieu foisonnant.

 

« C’est un endroit avec beaucoup de matières organiques différentes », se réjouit Pierre à l’ombre du grand érable sycomore. Or la matière, c’est la base du MSV, l’acronyme de maraîchage sur sol vivant, technique culturale qu’il a adoptée. Il désigne le compost encore frais : épluchures, restes de repas, légumes abîmés… Ce qui pour beaucoup ressemble à un tas de déchets est, pour ce fin connaisseur du sol, synonyme de trésor. Ce compost regorge d’eau. Pierre l’installe en couches de dix cm sur ses parcelles.

 

« Cette matière va activer la vie du sol, faire remonter les vers de terre. Je crée un resto pour les anéciques, ces grands vers de terre qui font des va-et-vient entre la surface et la profondeur du sol. Leur présence est un bon indicateur de la fertilité du sol. » Car en enfouissant la matière via leurs galeries, ces vers permettent au sol d’être mieux structuré, une condition indispensable à la rétention d’eau.

Ce jardin partagé fonctionne avec la technique du maraîchage sur sol vivant. © Mathieu Génon / Reporterre

« Le potager est vraiment une usine à recycler les déchets »

Sur cette couche de compost frais — riche en azote dont les plantes sont friandes lors de leur développement, Pierre ajoute du broyat. Il prend une grosse poignée de matière dans un tas de branchages, brindilles, feuilles en décomposition. « C’est du carbone, ça va servir de garde-manger à la terre dans les prochains mois en devenant de l’humus », explique-t-il. Une bonne odeur de sous-bois se dégage déjà du mélange. Enfin, troisième et dernière couche : de l’herbe bien sèche ou de la tonte de gazon. Ce paillage va finir de protéger le sol de l’évaporation liée à la chaleur et au vent.

Ce compost regorge d’eau. © Mathieu Génon / Reporterre

Loin de la région parisienne, Olivier Puech applique peu ou prou les mêmes techniques d’enrichissement et de protection du sol dans son village de l’Hérault, un département régulièrement frappé par la sécheresse et les restrictions d’eau. « Le potager est vraiment une usine à recycler les déchets », assure ce jardinier bien connu des passionnés grâce à sa chaîne YouTube Le Potager d’Olivier suivie par 415 000 abonnés. Seule condition pour nourrir le sol du potager : avoir beaucoup de biomasse (c’est-à-dire de « déchets » verts) à disposition. « Je suis devenu un peu la déchetterie du coin ! s’amuse Olivier. Pour moi, tout ça, c’est de l’or. »

 

Paillage et ombrage, le bon alliage

 

La terre de son potager de 200 m² s’est ameublie et enrichie au fil des ans. « C’est ce que j’appelle un “sol éponge”, qui se gorge de l’eau des pluies. 80 à 90 % de l’eau qui tombe va directement dans le sol. Il n’y a pas de ruissellement. Et on peut ainsi baisser drastiquement les apports en eau », assure-t-il. Pour lutter contre l’évaporation, il a bien entendu recours au paillage et, depuis quelques années, à un système d’ombrage au-dessus de ses courgettes, courges, concombres et même de ses parcelles de tomates.

 

« L’été, les journées sont longues. Or, ces plantes se contentent largement de 6 ou 7 heures de plein soleil par jour. C’est impressionnant de voir les différences de résultat sur certaines cultures, notamment celles qui ont beaucoup de feuillage. L’ombrage permet de créer une sorte de microclimat. » Dans l’article dédié à la gestion de la sécheresse qu’il a publié sur le blog terra-potager, il conseille d’utiliser des ombrages amovibles, comme des canisses, des filets d’ombrage (en plastique, vendus en magasin) ou des voiles d’ombrage fabriqués avec une toile ou un simple drap.

 

Enfin, comme Isabelle dans les Hauts-de-Seine, Olivier s’adapte à la sécheresse par le choix de ses cultures. Pendant la saison chaude, il ne fait plus de salades, trop sensibles au manque d’eau en raison de leur petit réseau racinaire. « En règle générale, je ne sème ni ne plante plus rien l’été. Je me concentre à maintenir la récolte en cours. Si on n’a pas la ressource pour arroser, les cultures qui vont s’en sortir sont celles qui font des racines plus profondes, et ont des besoins en eau moins conséquents. » Opter pour des légumes racines — betteraves, céleris, radis noirs… — peut être une bonne solution. Même si les récoltes d’automne sont moins séduisantes, reconnaît Olivier, et demandent plus de temps de préparation en cuisine que celles d’été.

 

Et pourquoi ne pas se tourner vers les graines anciennes vendues comme plus résistantes au stress hydrique ? « C’est un peu un argument de vente pour certains semenciers. Oui, peut-être que des variétés de tomates auront plus de faculté à résister à la chaleur. Il faut essayer, mais personnellement, je ne suis pas convaincu. » Olivier compte plutôt sur de futures variétés. « Il faut des variétés nouvelles pour un climat nouveau ». C’est justement ce à quoi planchent de très nombreux scientifiques partout dans le monde : développer des variétés plus aptes à s’adapter à la chaleur, comprendre les réseaux racinaires pour essayer de les rendre plus performants. « Peut-être que dans vingt ans, on aura des systèmes racinaires qui seront capables d’aller à un mètre sous terre », se prend à rêver l’Héraultais.

 

Adapter la surface de culture à la quantité d’eau de pluie récupérée

 

Didier Helmstetter cultive le même espoir pour son potager en Alsace, une région qui n’est pas épargnée par les vagues de chaleur intenses. Auteur du livre à succès Le Potager du paresseux, l’ingénieur agronome a publié en 2022 la suite : Le Potager du paresseux frappé par le changement climatique. Dans ses conférences et vidéos, il plébiscite le mulch, à savoir un généreux paillage de foin. Cette technique lui permet de réduire son intervention au minimum : pas de travail de la terre, pas d’ajout de compost, réduction des « mauvaises » herbes, conservation de l’humidité, protection du sol... Il s’est par ailleurs toujours refusé à utiliser l’eau du réseau pour son jardin, se contentant au départ des 8 m³ d’eau de pluie récupérée du toit de sa serre.

 

Mais l’été 2019 a marqué une « fissure » dans sa façon de faire. Face à des températures records, sa réserve ne suffisait plus, couvrir le sol non plus. Il a alors décidé de prendre le problème à l’envers : « J’adapte désormais la surface de mes cultures d’été à la quantité d’eau de pluie que je peux collecter. » Il a investi dans une grande citerne en PVC souple qui lui a permis d’atteindre une capacité totale de stockage de 30 m³. Un choix que peu de jardiniers peuvent se permettre, en raison de l’espace que cela nécessite et du coût aussi : il a dépensé 800 euros pour sa citerne de 20 m³.

Pour beaucoup de jardiniers interrogés, il faut apprendre à manger ce que le jardin peut nous offrir. © Mathieu Génon / Reporterre

Toutefois, les petits récupérateurs d’eau sont comparativement plus chers. Leur prix s’est envolé ces derniers mois. « En 2017, un conteneur de 1 m³ coûtait dans les 50 euros. Aujourd’hui, il faut compter 120 euros, voire 180 ! » constate Didier. Face au changement climatique qu’il juge « absolument catastrophique par la multiplicité des facteurs », il décale ses cultures dans la saison et joue à ce qu’il nomme le « loto potager » en semant plus tôt et en quantité. Si la météo s’avère clémente, la production sera très abondante. Dans le cas contraire, il a toujours l’espoir d’une récolte, même maigre. Il mise aussi sur les légumes qui ne montent pas en graines en cas de sécheresse, « comme le poireau ou les côtes de bettes qui attendront la première pluie pour repartir ».

Mais tous les jardiniers interrogés sont unanimes : on ne peut pas récolter de légumes si on les rationne en eau. « Dans la plupart des cas, ils sont composés à 80 % d’eau, parfois plus, indique Olivier Puech. Physiologiquement, la plante a besoin d’eau, et plus elle a de tiges et de feuillage, plus elle a besoin d’eau. » Le stress hydrique bloque la croissance du végétal. Le secret est donc de réduire la perte d’eau par tous les moyens : en favorisant la rétention d’eau dans le sol, en limitant le phénomène d’évaporation et en récupérant la moindre goutte. Olivier a par exemple installé un évier dans son potager afin de récupérer toute l’eau de lavage de ses légumes. Didier Helmstetter a fait de même. « Il faut aussi changer notre philosophie, apprendre à manger ce que le jardin peut nous offrir, et pas plus », résume ce dernier.

Source : https://reporterre.net/Comment-rendre-son-potager-resistant-a-la-secheresse