Agriculteurs, ils ont sauvé une source d’eau de la pollution

 

Limiter les intrants chimiques, privilégier des cultures moins gourmandes en eau... En changeant leurs pratiques, des agriculteurs de Saints-en-Puisaye, dans l’Yonne, préservent l’eau.

 

« Tout ça, au départ, ce n’était pas enherbé. » Jean Massé, le maire de Saints-en-Puisaye depuis 2008, tient à montrer l’évolution des terres agricoles de sa commune depuis les années 2000. En 1994, c’est un coup de semonce qu’a entendu ce village d’un peu plus de 500 habitants. Son captage d’eau, nommé le Gondard, a été jugé impropre à la consommation par la préfecture, et son utilisation a été interdite. En cause, un taux trop important de nitrates et de pesticides dû à une activité agricole intensive.

Une importante exploitation de ses terres était majoritairement en agriculture conventionnelle, avec environ 3 000 hectares de culture pour trente-cinq exploitations. « Il y avait de la polyculture et de l’élevage, et beaucoup moins de précautions concernant la préservation de l’environnement à l’époque », dit l’élu. Face à cette interdiction, les acteurs du territoire ont décidé d’accompagner les agriculteurs pour changer de pratiques agricoles et limiter leurs conséquences négatives sur le captage d’eau. Le syndicat des eaux de Toucy, qui fait désormais partie de la Fédération des eaux Puisaye Forterre, ainsi que la chambre d’agriculture ont réfléchi aux solutions à apporter. Si un autre captage d’eau potable a pu être utilisé pour l’alimentation en eau, le souhait a d’abord été de récupérer l’usage du Gondard.

Jean Massé était à cette période-là conseiller municipal et délégué au syndicat des eaux de Toucy. « J’ai grandi dans ce village. À l’époque, on buvait de l’eau qui était parfois trouble, mais c’est vrai que l’on ne s’inquiétait pas encore de tout ça. Ce qui me préoccupait au moment de l’interdiction, c’était la santé en général », dit-il. Éleveur et cultivateur en agriculture biologique, aujourd’hui à la retraite, il a participé à la réflexion au sujet de la pollution de l’eau : « On a vu que prévenir la pollution des eaux était ce qui fonctionnait le mieux ».

Diminuer la quantité d’intrants, pesticides et nitrates

Une étude complète du périmètre de captage de la source a été réalisée en lien avec la chambre d’agriculture. Environ 1 000 hectares ont été particulièrement surveillés. L’une des premières mesures prises a été la mise en herbe de certaines parcelles, permettant de ne plus travailler la terre et ainsi limiter l’activité polluante sur les zones particulièrement sensibles. Les agriculteurs ont également été incités à replanter des haies, qui aident à limiter le transfert de polluants dans les sols. L’objectif, enfin, a été de diminuer la quantité d’intrants, pesticides et nitrates, qui passent du sol aux nappes souterraines. Une quinzaine d’exploitants se sont impliqués dans le cadre de contrats d’agriculture durable de cinq ans renouvelables, pour changer leurs pratiques.

L’eau est redevenue potable en 2006, après la mise en place des premières mesures dans les années 2000, mais son captage est toujours surveillé par la préfecture de l’Yonne. « Des périmètres de protection de captage ont été instaurés par un arrêté préfectoral de 1986 et une démarche préventive de type “bassin d’alimentation de captage”, ou BAC, est mise en place depuis 2003. La qualité de cette ressource est conforme à la réglementation », explique-t-on à la préfecture.

Jean Massé, le maire de Saints-en-Puisaye, devant les vaches de son fils, à qui il a transmis son exploitation. © Éloïse Bussy / Reporterre

200 à 400 hectares supplémentaires de terres ont été mis en herbe par la suite et les pratiques agricoles ont continué à évoluer. « Il y a des agriculteurs qui ont été plus réticents au changement que d’autres, mais les jeunes qui arrivaient faisaient davantage attention aux conséquences de leurs pratiques », dit Jean Massé, qui a transmis son exploitation à son fils.

Parmi les paysans qui se sont convertis en agriculture biologique, il y a Stéphane Puissant, dont une partie de l’exploitation céréalière est basée à Saints-en-Puisaye. Il s’est progressivement tourné vers l’agriculture biologique à partir de 2005. « J’étais déjà en réflexion pour passer en bio quand les restrictions pour le Gondard sont arrivées. Entre 2005 et 2010, j’ai réduit mes intrants en nitrates, et j’ai converti en agriculture biologique une soixantaine d’hectares », indique-t-il, sur les 280 qu’il possède aujourd’hui.

Il a ensuite converti de nouveau 60 hectares en 2010, en 2013-2014, en 2015, puis enfin en 2019, lorsqu’il a acheté des terrains supplémentaires. « Il a fallu se remettre à labourer et s’habituer à laisser des mauvaises herbes, dit l’agriculteur. On fait également de nouvelles cultures, comme la luzerne, les lentilles ou du petit épeautre. J’ai également refait des formations d’agronomie pour mieux comprendre les sols. »

« Pour moi, c’était naturel de protéger la ressource en eau »

Aujourd’hui, les agriculteurs qui s’installent sur le territoire sont sensibilisés aux bonnes pratiques. Le syndicat des eaux établit chaque année la zone de captage de la source avec des restrictions plus importantes qu’ailleurs. « Les agriculteurs ont des engagements. Un bilan est fait chaque année avec eux sur l’état du captage », détaille Jean Massé. L’Agence régionale de santé (ARS) surveille aujourd’hui la qualité des eaux brutes par des analyses tous les deux ans. Des autocontrôles sont également réalisés et transmis à la Fédération des eaux Puisaye Forterre.

Parmi les agriculteurs sensibilisés, on compte Edwin Marti, installé en agriculture biologique et dont une partie des terres est située à Saints-en-Puisaye depuis qu’il a repris 39 hectares sur le périmètre du captage de la commune en 2009. « Pour moi, c’était naturel de protéger la ressource en eau. À mes débuts, il y avait davantage d’aides, notamment pour le verdissement [la mise en herbe] », explique-t-il.

Ce jour-là, il est en train d’emballoter des bottes de foin. « Avec du retard », dit-il, à cause de sa charge de travail. L’exploitant déplore le manque d’aides financières pour soutenir son activité en bio. « J’espérais avoir un meilleur soutien quand je me suis lancé en agriculture biologique. Aujourd’hui, si mon tracteur ne fonctionne plus, je ne peux plus travailler, je n’ai pas les moyens d’en acheter un autre. »

Si Jean Massé ne se dit plus inquiet pour l’état de la source à l’heure actuelle, il craint que ce manque de soutien à l’agriculture biologique n’ait des conséquences négatives à terme. « J’ai peur que, s’il devient plus difficile de produire en agriculture biologique, certains reviennent vers les cultures traditionnelles ».

Source : https://reporterre.net/Agriculteurs-ils-ont-sauve-une-source-d-eau-de-la-pollution