Écoles dans la nature : des bienfaits qui ont un prix

 

Une nouvelle école en pleine nature vient d’ouvrir au sud de Paris. Un cadre verdoyant, un petit effectif, un apprentissage par la nature : un environnement rêvé, qui a un coût financier.

On dit que la vérité sort de la bouche des enfants. Alors, quand ils écrivent que « Les petites ruches, c’est la meieur (sic) école du monde », on a envie de les croire. Nous sommes à quarante-cinq minutes au sud de Paris, à la lisière de la forêt de Fontainebleau. Depuis le 4 septembre, la nouvelle école Les Petites ruches a ouvert ses portes dans un jardin de Veneux-les-Sablons, une ville tranquille aux belles maisons pavillonnaires. Elle s’inspire du mouvement des « Forest schools », né dans les pays scandinaves dans les années 50. Leur but : favoriser l’apprentissage des élèves au contact de la nature.

Dès que l’on franchit le portail d’entrée, la chaleur écrasante de la rue disparaît. Une passerelle en bois bordée par de hauts bambous mène à la yourte, la salle de classe de cette école alternative. Vaste et lumineuse, elle mesure 80 m2, meublée de quelques tables blanches, de petites chaises, d’une bibliothèque déjà bien garnie et d’un coin cuisine pour réchauffer les déjeuners que doivent apporter les écoliers.

La yourte de 80 m2 sert de salle de classe. © NnoMan Cadoret / Reporterre

À l’intérieur, certains jouent à cache-cache pendant que d’autres, assis sur les escaliers extérieurs, imaginent leur école idéale. Les idées fusent : accueillir des animaux — cheval, âne, perroquet, chat — pour tenir compagnie à Mama et Umami, les deux brebis déjà installées au fond du jardin. Ils rêvent aussi de cabanes dans les arbres, de jeux d’accrobranche, d’une tyrolienne, d’un toboggan, d’un trampoline, d’une balançoire et d’une salle d’escalade. Ils songent aussi à élire des délégués et demandent du chocolat pour leur goûter. « Du chocolat noir à 90 % », réclame une petite fille. « Et aussi bio », renchérit sa voisine.

Les écoliers sont au contact de la nature et peuvent entretenir les plantes de l’école. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Phobie scolaire, trouble de l’attention...

Au total, vingt-deux enfants de la grande section au CM2 ont fait leur rentrée des classes dans cette école hors contrat. Trois d’entre eux sont diagnostiqués avec des troubles neuroatypiques, notamment l’autisme. Presque la moitié des écoliers souffrent de phobie scolaire, de trouble de l’attention ou sont hyperactifs, indique l’une des enseignantes. Accueillir autant d’écoliers avec des troubles est l’une des pierres angulaires du projet.

« Le secteur public est inadapté [aux enfants autistes] par manque de moyens et de formation des professeurs. C’était une grande source de souffrance pour notre fils, alors qu’il était émerveillé lorsqu’il était dans la forêt, libre de ses mouvements », explique Alexandra Lof, mère de Léon, diagnostiqué d’un trouble du spectre de l’autisme. Avec son compagnon, Kristen Daeschner, ils ont décidé de créer cette école alternative, où leur fils pourrait s’épanouir.

C’est pour que Léon, ici dans le jardin de l’école, et d’autres enfants ayant un trouble puissent s’épanouir que cette école a été créée. © NnoMan Cadoret / Reporterre

À leurs côtés, Sasha Bogdanoff, autrice-compositrice-interprète et mère de deux petites filles, rêvait depuis longtemps d’une autre éducation pour sa famille. « Ma fille est une enfant de la nature, explique la cofondatrice de l’école. L’imaginer enfermée toute la journée assise sur un banc l’aurait mise en souffrance. Mon cœur de maman voulait autre chose pour elle. Mais ce n’est pas facile, car il n’y a pas beaucoup de propositions alternatives dans la région. »

Les trois cofondateurs de l’école (de g. à d.) : Sasha Bogdanoff, Kristen Daeschner et Alexandra Lof. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Le trio s’est retroussé les manches pour faire toutes les démarches, non sans difficultés. Ils ont recruté une équipe pédagogique de sept femmes, toutes formées à la pédagogie par la nature et aux troubles du comportement. Alexandra Lof et Kristen Daeschner ont mis gratuitement à disposition une partie de leur jardin pour installer la yourte, construite grâce à un financement participatif. Ils ont ensuite facilement trouvé les élèves. « Beaucoup de parents nous ont fait confiance alors que nous n’étions même pas encore ouverts », explique Sasha Bogdanoff.

Trampoline, récolte de miel... Les écoliers imaginent leur école idéale. © NnoMan Cadoret / Reporterre

« Je me sens autonome et heureuse »

Près de quarante familles sont encore sur liste d’attente. Une preuve de l’engouement pour ce type de structure. Selon les chiffres de la Fondation pour l’école, la pédagogie par la nature est plébiscitée par 38 % des nouvelles écoles hors contrat lancées en 2023. Entre 50 et 60 établissements se revendiquent comme « Forest schools » en France, selon l’estimation de Sylvain Wagnon, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Montpellier.

« L’engouement est réel et le confinement a fait exploser cette volonté de faire école dehors, explique le coauteur du livre L’École dans et avec la nature. Cela montre aussi que beaucoup de gens sont inquiets pour l’avenir de leurs enfants. Car on connaît les bienfaits d’être dans la nature. » Une meilleure santé, moins de stress, plus de confiance en soi et de coopération : les effets bénéfiques de l’enseignement à l’extérieur ont été démontrés par de nombreuses études scientifiques.

Une semaine après la rentrée, l’ambiance aux Petites ruches tient plus de la colonie de vacances que de la salle d’étude concentrée. Pieds nus dehors, les enfants arrosent les plantes et jouent dans le jardin. D’autres dessinent ou lisent des livres. L’équipe doit prendre ses marques avant de mettre en place les premiers apprentissages. Car il n’est pas question de faire l’école buissonnière : les élèves doivent acquérir le socle de connaissance de base afin de pouvoir continuer leurs études dans un collège classique. En attendant, les plus âgés se réjouissent.

Plutôt que des notes, l’école propose un système d’accompagnement des acquis. Les enfants ont aussi des temps libres, comme ici dans le jardin. © NnoMan Cadoret / Reporterre

« Je me sens autonome et heureuse, c’est moins compétitif que dans mon ancienne école », raconte Mila, dix ans, qui entre en CM2. Ici, pas de note ou de classement, mais un système d’accompagnement des acquis. Chacun dispose d’un classeur où sont rangées des feuilles avec les compétences à assimiler tout au long de l’année. « On va aller chercher leur curiosité. Les apprentissages peuvent prendre la forme d’un jeu », assure Sasha Bogdanoff. Est-ce suffisant pour les inciter à se concentrer sur les matières parfois rébarbatives ? « Bien sûr. Les grands sont même en demande de dictées », assure-t-elle.

410 euros par mois

Cette bienveillance, ce petit effectif et cet environnement idyllique ont un coût : 410 euros par mois (soit 4 920 euros par an) et 150 euros de frais d’inscription. Un tarif dans la moyenne des écoles hors contrat. « On évalue le prix autour de 300 euros par mois, rarement en dessous de 200 euros. Mais cela peut monter jusqu’à 600 euros », explique Anne-Françoise de Saint-Albin, responsable développement et communication de la Fondation pour l’école.

Si certains établissements adaptent leur tarif au quotient familial, ce n’est pas le cas des Petites ruches, en phase de lancement. Les trois cofondateurs ont travaillé bénévolement sur ce projet, chapeauté par une association à but non lucratif. « Nous avons fait le moins cher possible », justifie Sasha Bogdanoff. Kristen Daeschner assure que « personne ne veut se faire de l’argent » et que plusieurs parents n’ont pas de gros revenus. « Certains ont changé de mode de vie pour offrir cette école à leurs enfants parce qu’ils croient au projet. »

Sur un an, il faut débourser 4 920 euros pour inscrire son enfant dans cette école alternative. © NnoMan Cadoret / Reporterre

D’autres n’hésitent pas à faire quarante minutes de route matin et soir, comme Rebecca et Stuart pour venir chercher leur petite Arwa, huit ans. « Les valeurs écologiques sont très importantes pour elle et il fallait qu’elle puisse trouver un espace où elle puisse les exprimer », explique la mère.

Pour s’ouvrir au plus grand nombre, l’équipe réfléchit à un système de bourses destinées aux familles les plus modestes. « Il faut aussi rappeler que l’école publique n’est pas gratuite. Chaque élève coûte 6 300 euros en moyenne à la collectivité. Au final, nous sommes moins chers », dit Sasha Bogdanoff.

Ils espèrent également passer un contrat avec l’État qui permettra de recevoir des subventions. Pour cela, ils devront attendre les cinq années réglementaires. Un cap que peu d’établissements réussissent à franchir. « L’État refuse majoritairement les demandes de passage sous contrat. Nous ne sommes pas dans une période où le gouvernement a envie d’aider les nouvelles écoles qui s’ouvrent, alors que beaucoup de classes ferment et qu’il y a une baisse démographique », dit Anne-Françoise de Saint-Albin.

« Évidemment c’est de l’entre-soi, qu’ils le veuillent ou non »

Au final, inscrire son bambin dans ce type d’établissement reste révélateur d’un certain capital culturel et social, reconnaît Sylvain Wagnon : « Évidemment c’est de l’entre-soi, qu’ils le veuillent ou non. Ce n’est pas une école qui sera pour tout le monde. »

Malgré tout, les fondateurs espèrent créer des liens avec d’autres établissements publics. « Nous aimerions avoir des synergies avec l’école publique de la ville. Par exemple, quand nos enfants vont passer la journée dans la forêt une fois par semaine, les autres élèves pourraient venir découvrir notre pédagogie », imagine Alexandra Lof. « L’idée n’est pas de rester en autarcie », dit Sasha Bogdanoff. Mais l’enseignement public, bien qu’à la traîne, expérimente lui aussi la pédagogie par la nature. Beaucoup d’initiatives fleurissent dans toutes les académies, portées par des enseignants motivés.

Sauf qu’il reste encore beaucoup à faire. « Il faut des moyens et être formé à faire classe dehors, constate Sylvain Wagnon. Et surtout, 85 % de la population française est urbaine. On ne pourra pas mettre toutes les écoles dans la forêt. »

Source : https://reporterre.net/Ecoles-dans-la-nature-des-bienfaits-qui-ont-un-prix